La crise de leadership et l’absence de dirigeants visionnaires qui frappent nos pays individuellement depuis une décennie n’épargnent malheureusement pas la CEDEAO. Cette institution, qui faisait notre fierté dans les aéroports de la sous-région où nous étions accueillis par la police des frontières comme des résidents, cette institution qui a pacifié le Libéria et la Sierra Leone, en proie à des guerres civiles plus complexes et plus atroces que la crise actuelle du Sahel, nous manque énormément. Elle a d’abord manqué l’occasion d’afficher son unité et sa fermeté lorsque la France et ses alliés de l’OTAN ont agressé et déstabilisé la Libye, tout en sachant que les conséquences allaient indubitablement nous retomber dessus. Ensuite, lorsque les hordes de terroristes et de rebelles ont pillé les arsenaux de guerre de la Libye pour attaquer nos pays, ses atermoiements et son manque de stratégie ont donné le temps et l’opportunité à la France (la même qui était à la manœuvre en Libye) de s’installer en « libératrice » du Mali. Une imposture ! Cela a totalement écarté la CEDEAO de toute possibilité de jouer un rôle de premier plan.
Ce n’est qu’à la faveur du coup d’État du 18 août 2020 que la CEDEAO revient au Mali, sur la pointe des pieds. En se faisant le porte-parole de l’Élysée et en adoptant une attitude intransigeante, complètement déconnectée des réalités du pays, elle a fini par émousser l’immense espoir suscité par son retour dans la recherche de paix au Sahel. À partir des sanctions illégales contre le Mali et du refus d’obtempérer à la décision de la Cour de l’UEMOA annulant une partie de ces sanctions, il était évident que l’organisation ne travaillait plus ni pour les peuples ni pour l’État de droit qui lui avait servi d’alibi pour justifier ses ingérences dans la gestion de certains de ses membres. Mais le Rubicon sera franchi en 2023 au Niger lorsque, en dépit de tout bon sens et dans une précipitation irrationnelle, la CEDEAO impose des sanctions inhumaines et illégales contre le Niger, sous prétexte de rétablir un ordre constitutionnel démantelé par le coup d’État du 26 juillet. Ensuite, dans une furie guerrière jamais observée auparavant dans l’organisation régionale, elle décide d’agresser militairement le Niger. La réponse ferme des forces armées nigériennes et la mobilisation rapide du Mali et du Burkina Faso pour soutenir le Niger face à toute agression militaire finiront par faire reculer les somnambules aiguillonnés depuis Paris, qui souhaitaient précipiter la région dans une autre guerre inutile. La confiance est rompue, et l’Afrique découvre avec stupéfaction l’ampleur du détournement de l’organisation de sa mission et, surtout, la menace qu’elle constitue désormais pour la paix et la stabilité de ses membres.
Notre principal outil d’intégration sous-régionale est en perte de vitesse, car elle a perdu la confiance des peuples. Pour éviter le discrédit et l’indifférence des populations vis-à-vis des autres organisations sous-régionales africaines et de l’impotente UA, nous formulons trois propositions simples mais immédiatement efficaces.
1. Relancer le projet de l’ECO CEDEAO sans aucune concession à la France et au franc CFA : depuis l’annonce, le 21 décembre 2019 à Abidjan, de son projet de sabotage de la monnaie communautaire en changeant le nom du FCA, le Président français persiste dans son plan d’usurper l’ECO pour donner une seconde vie à la monnaie coloniale, sans aucune consultation des Chefs d’État de l’UEMOA. En dépit de quelques réactions timorées du Nigéria, la CEDEAO est restée plutôt silencieuse face à cette supercherie néocoloniale. La CEDEAO doit s’affirmer en défendant son projet de monnaie communautaire et en écartant complètement la France de sa mise en œuvre.
2. Engager des discussions constructives et sans chantage avec l’AES : L’AES est assurément la meilleure réponse stratégique et géostratégique à la Françafrique. La stratégie réactionnaire adoptée par la CEDEAO de combattre l’AES est inopérante. Il faut se rendre à l’évidence : la CEDEAO, étant devenue une menace à la sécurité régionale, personne ne souhaite la voir prendre des décisions sécuritaires pour nos pays. Il est donc urgent qu’elle accepte de cohabiter avec l’AES et de travailler à définir les bases d’une collaboration mutuellement bénéfique, dépourvue de tout chantage. L’organisation a géré la sortie de la Mauritanie sans remous. Pourquoi ne pourrait-elle pas négocier de manière apaisée la sortie des pays de l’AES ?
3. Passer à la mise en œuvre de la Vision 2050 de la CEDEAO : Dans les tiroirs de la CEDEAO sommeillent d’importants projets de transformation énergétique, industrielle, agricole, sécuritaire, d’intégration et de télécommunication. La Vision 2050 de la CEDEAO envisage une région sans frontières, pacifique, prospère et fondée sur la bonne gouvernance. L’incompétence des deux derniers Présidents de la Commission et les ingérences intempestives de l’Élysée ont détourné l’organisation de ses priorités, la faisant travailler ces dernières années principalement sur des dossiers de politique intérieure de certains pays, tout en fermant les yeux sur les troisièmes mandats et la mauvaise gouvernance au sein de l’organisation et dans les États membres. L’organisation doit réformer la Commission, se débarrasser de la tutelle française et rechercher d’autres partenaires plus fiables afin de mettre en œuvre ses grands projets structurants pour le développement communautaire. La Vision 2050 pourrait d’ailleurs constituer un terrain fructueux de collaboration avec l’AES, dans l’intérêt des populations et loin de toute ingérence abusive extérieure.